Cioran, Entretiens avec Sylvie Jaudeau.
SYLVIE JAUDEAU : Votre vérité ne réside-t-elle pas dans ce silence que vous opposez aujourd’hui à ceux qui attendent encore de vous des livres ?
CIORAN : Peut-être ; mais si je n’écris plus c’est parce que j’en ai assez de calomnier l’univers ! Je suis victime d’une sorte d’usure. La lucidité et la fatigue ont eu raison de moi – j’entends une fatigue philosophique autant que biologique – quelque chose en moi s’est détraqué. On écrit par nécessité et la lassitude fait disparaître cette nécessité. Il vient un temps où cela ne nous intéresse plus. En outre, j’ai fréquenté trop de gens qui ont écrit plus qu’il n’aurait fallu, qui se sont obstinés à produire, stimulés par le spectacle de la vie littéraire parisienne. Mais il me semble que moi aussi j’ai trop écrit. Un seul livre aurait suffi. Je n’ai pas eu la sagesse de laisser inexploités mes virtualités, comme les vrais sages que j’admire, ceux qui, délibérément, n’ont rien fait de leur vie.
SYLVIE JAUDEAU : Votre vérité ne réside-t-elle pas dans ce silence que vous opposez aujourd’hui à ceux qui attendent encore de vous des livres ?
CIORAN : Peut-être ; mais si je n’écris plus c’est parce que j’en ai assez de calomnier l’univers ! Je suis victime d’une sorte d’usure. La lucidité et la fatigue ont eu raison de moi – j’entends une fatigue philosophique autant que biologique – quelque chose en moi s’est détraqué. On écrit par nécessité et la lassitude fait disparaître cette nécessité. Il vient un temps où cela ne nous intéresse plus. En outre, j’ai fréquenté trop de gens qui ont écrit plus qu’il n’aurait fallu, qui se sont obstinés à produire, stimulés par le spectacle de la vie littéraire parisienne. Mais il me semble que moi aussi j’ai trop écrit. Un seul livre aurait suffi. Je n’ai pas eu la sagesse de laisser inexploités mes virtualités, comme les vrais sages que j’admire, ceux qui, délibérément, n’ont rien fait de leur vie.
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